Pneumonie infectieuse chez la personne âgée
sB. De Wazière
Les infections respiratoires chez la personne âgée ont certaines particularités, tenant à leur fréquence, à la fragilité des personnes atteintes, aux risques de transmission croisée et aux bactéries multirésistantes [1 et ]. Les personnes âgées paient ainsi un lourd tribut aux infections respiratoires : celles-ci sont responsable d'environ 50 % des hospitalisations pour maladies infectieuses et d'environ 50 % des décès parmi les patients hospitalisés âgés [2].
L'épidémiologie des infections respiratoires basses en EHPAD (établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) est mal connue en France mais par analogie avec des publications faites aux États-Unis dans les « nursing homes », leur incidence s'établit probablement à un épisode pour 1 000 jours-résident, soit 10 fois plus élevée que chez des patients du même âge mais vivant au domicile [3, 4, 5, 6 et ]. Dans les séries autopsiques, les infections respiratoires basses sont parmi les premières causes de décès en institution [8 et ]. Dans une enquête de prévalence française des infections nosocomiales, effectuée en 2001 et analysée pour la tranche d'âge des plus de 65 ans, les infections respiratoires arrivaient au second rang des infections nosocomiales (30 %), juste après les infections urinaires (31 %) [10]. De multiples facteurs généraux et spécifiques concourent à expliquer la fréquence des infections respiratoires de la personne âgée. Indépendamment de l'hétérogénéité des populations de ces sujets (vigoureux, fragiles et/ou dépendants), de nombreuses maladies chroniques ou dégénératives altèrent les défenses naturelles ; certains traitements sont susceptibles d'accentuer cette altération des défenses : non seulement les corticoïdes et les immunosuppresseurs, mais également les sédatifs, les morphiniques ou les neuroleptiques ; il en est de même de divers facteurs locaux : inefficacité de la toux, perte d'élasticité pulmonaire, diminution d'efficacité du système mucociliaire, modification de la flore oropharyngée, hypochlorhydrie gastrique, fréquence des reflux et des fausses routes [11, 12 et ]. Le risque d'infection respiratoire n'est pas seulement lié à l'état de santé, mais aussi à la vie en collectivité : contagion entre patients mais également par les personnels ou les visiteurs ; infections liées à un agent exogène (légionellose) ou liés aux soins prodigués aux résidents. Des mesures de prévention doivent donc être mises en place [14 et ].
Critères diagnostiques
Plusieurs études [16, 17, 18 et ] ont confirmé la moindre fréquence des symptômes et des signes typiques d'infection respiratoire basse, et par contre une fréquence accrue de décompensation fonctionnelle et de symptômes d'appel atypiques : état confusionnel, anorexie, chute, altération de l'état général, amaigrissement, douleurs abdominales ou décompensation d'insuffisance cardiaque. Une radiographie de thorax est parfois nécessaire pour confirmer le diagnostic de pneumonie mais elle est souvent difficilement faisable en dehors de l'hôpital. Formule numération sanguine et CRP peuvent aider au diagnostic. Un ionogramme plasmatique est conseillé à la moindre suspicion de déshydratation, et en y associant une azotémie (l'hyperazotémie est un de facteurs de gravité de pneumonie). Les hémocultures sont à réaliser en cas d'hospitalisation pour pneumonie, même en l'absence de fièvre. En dehors de la recherche de BK, l'examen cytobactériologique des crachats est de faible spécificité, de plus il est souvent difficilement réalisable dans de bonnes conditions. Dans certaines pneumonies graves hospitalisées, la recherche d'antigènes urinaires pour le pneumocoque ou pour Legionella pneumophila est parfois utile à la confirmation du diagnostic microbiologique.
Mesures de signalement et d'investigation des pneumonies nosocomiales ou survenant en institution
Il faut signaler aux autorités sanitaires (DDASS) la survenue d'au moins trois infections respiratoires aiguës basses (en dehors des pneumopathies de déglutition) survenant dans un intervalle de moins de huit jours chez des personnes résidant ou partageant les mêmes lieux (institution ou hôpital). La DDASS doit alors vérifier l'application des mesures de contrôles et des recherches étiologiques. Légionellose et tuberculose sont à déclaration obligatoire. Une investigation de cas groupés ne doit être effectuée que si trois décès ou plus sont attribuables à l'épisode infectieux en moins de huit jours ; ou si cinq nouveaux cas sont notés dans une même journée ; ou bien si de l'incidence des nouveaux cas ne diminue pas dans la semaine suivant la mise en place des mesures de contrôle.
Mesures de prévention
Celles-ci ont été détaillées dans plusieurs rapports [20] du Comité Technique des Vaccinations, du Conseil Supérieur d'Hygiène Publique de France (disponibles sur cliquez ici et cliquez ici). Le lavage et la désinfection des mains restent essentiels et doivent être facilement accessibles. Les solutions hydro-alcoolisées sont maintenant la référence. Le port de masque chirurgical simple est suffisant dans la plupart des cas, pour les déplacements des patients contagieux et pour les actes de soins ou de petite chirurgie sans risque de projection de liquide biologique. Des appareils plus sophistiqués de protection respiratoire jetables (FFP1 et FFP2) ne doivent être utilisés que dans des situations exceptionnelles (sur le choix des masques voir cliquez ici) notamment patients tuberculeux contagieux pour FFP1 et situation particulièrement à risque pour FFP2 (tuberculose résistante, SRAS...). En pratique, le port de masque chez la personne âgée hospitalisée ou en institution est difficile voire impossible à appliquer du fait de la fréquence des troubles cognitifs et de la mauvaise tolérance de ces masques dans ces conditions. Ainsi, il faut insister sur le port du masque pour le professionnel victime d'une infection respiratoire (grippe) et devant travailler au contact de personnes âgées. Dans la mesure du possible il faut essayer d'isoler la personne malade en chambre individuelle, ce qui est impossible à réaliser en EHPAD et difficile en court séjour ; cette mesure d'isolement ne devra être appliquée qu'aux patients contagieux et porteurs de germes préoccupants (tuberculose, bactéries multirésistantes). Toute épidémie doit être l'occasion de revoir la stratégie vaccinale de l'établissement concernant le pneumocoque et la grippe. Il n'y a pas d'indication à l'antibioprophylaxie. La vaccination antigrippale des patients mais également celle du personnel soignant est vivement conseillée. La vaccination antipneumococcique fait encore l'objet de discussions au sein du comité technique de vaccination mais pour la plupart des experts cette vaccination doit être proposée à tout sujet âgé de plus de 65 ans et particulièrement lors de leur admission en institution. En effet, les critères de recommandation de l'AMM, sans être restrictifs ne sont pas pragmatiques. De nombreuses pathologies notamment les insuffisances cardiaques sont sous-diagnostiquées et ne se révèlent qu'à l'occasion d'une infection respiratoire alors que le patient n'est pas vacciné. Par ailleurs, des recommandations en cas d'épidémie de grippe ont été publiées [21].
Le choix de l'antibiothérapie
Celui-ci a été réactualisé par la conférence de consensus de mars 2006 [22]. Les principes de base de l'antibiothérapie doivent s'appliquer encore plus strictement chez la personne âgée. Les délais de mise en route du traitement doivent être particulièrement courts ; le choix de l'antibiothérapie reste le plus souvent empirique, il doit tenir compte du risque éventuel de fausse route qui modifie la flore, et s'appuyer à l'hôpital sur un guide d'antibiothérapie qui doit être disponible dans tous les établissements. L'hygiène bucco-dentaire, ainsi que le fait d'habiter en institution modifie l'écologie bactérienne avec une moindre fréquence du pneumocoque, mais plus de staphylocoques et d'entérobactéries. Il est maintenant reconnu que les pneumonies survenant chez les patients vivants en institution doivent être considérées comme une catégorie particulière du fait de leur gravité, des germes en cause, de la durée d'hospitalisation prolongée et des surcoûts.
Le choix de l'antibiothérapie doit aussi tenir compte du tableau clinique évocateur ou non d'une infection pneumococcique. Malheureusement en pratique cette situation reste théorique et le choix initial empirique reste souvent l'amoxicilline associée à l'acide clavulanique. Les quinolones antipneumococciques peuvent être utilisés mais uniquement si elles n'ont pas été prescrites dans les trois mois précédents, ceci du fait du risque élevé de résistance. Leur association avec une céphalosporine de troisième génération parentérale ou une amoxicilline n'est envisageable que dans les pneumonies graves relevant de soins intensifs. En institution, l'utilisation des quinolones doit être limitée ou éventuellement intégrée dans une réflexion globale sur la rotation du choix de l'antibiothérapie initiale, ce qui permet de pallier la monotonie des prescriptions et donc de l'émergence des résistances particulièrement fréquentes dans cette tranche de population fragile.
La place des macrolides reste limitée dans ce contexte ; éventuellement, en cas d'échec d'une antibiothérapie de première intention par bêta-lactamines, la pristinamycine peut être proposée, elle est en général bien tolérée chez la personne âgée. Les céphalosporines et particulièrement la ceftriaxone sont intéressantes particulièrement en médecine de ville car utilisables par voie sous-cutanée en une seule injection quotidienne. Elles doivent être néanmoins réservées aux pneumonies survenant sur des terrains à risque ou chez des patients en institution. La conduite à tenir spécifique en cas de pneumonie d'inhalation n'a pas été évoquée dans la dernière conférence de consensus française [22]. En pratique l'association amoxicilline acide clavulanique reste efficace, de nombreux prescripteurs y associant une quinolone.