Pourquoi former les médecins généralistes à la spirométrie ?
Pourquoi former les médecins généralistes à la spirométrie ?
L’asthme et la bronchopneumopathie chronique obstructive sont deux problèmes majeurs de santé publique dont le coût global est impacté par des diagnostics tardifs. La spirométrie, par les mesures du VEMS, de la CVF et du rapport VEMS/CVF est un examen indispensable au dépistage, au diagnostic, à l’évaluation de la sévérité, au choix du traitement médical et au suivi au long cours de ces maladies. Principalement réalisé par des pneumologues, cet examen n’est pourtant pas assez pratiqué au vu des recommandations françaises et internationales . En 2030, le nombre de pneumologues devrait baisser de 20 % [4], les prévalences de l’asthme et surtout de la BPCO fortement augmenter .
Face à ce constat pessimiste, le développement récent d’appareils fiables et adaptés à l’exercice de la médecine générale, permet d’envisager la réalisation de spirométries par les médecins généralistes. Même si des initiatives locales peuvent exister, les formations initiales et continues à la réalisation pratique d’une spirométrie sont peu développées en médecine générale à ce jour. Lors du second cycle des études médicales, la formation est principalement théorique et privilégie l’interprétation d’une courbe débit–volume.
Au terme du diplôme d’études spécialisées (DES) de médecine générale, moins de 5 % des internes se sentent capables de réaliser et d’interpréter une spirométrie et 35,2 % estiment avoir les connaissances théoriques nécessaires. Pourtant, deux tiers des internes jugent nécessaire l’apprentissage de la spirométrie et 80 % sont favorables à l’instauration d’un certificat d’aptitude à la spirométrie lors du troisième cycle . En France, il n’est pour le moment pas nécessaire de fournir de certificat d’aptitude pour utiliser une spirométrie contrairement par exemple aux médecins généralistes belges [8]. Pourtant, la qualité des spirométries réalisées par un personnel formé est supérieure à celle pratiquée par un personnel non formé [9, 10]. Tout médecin généraliste qui souhaite utiliser la spirométrie dans sa pratique devrait donc selon nous avoir suivi une formation.
Quels seraient les grands principes d’une formation à la spirométrie en médecine générale ?
Adaptée aux champs de compétences de la médecine générale
Situés à deux places différentes dans le parcours de soins, le médecin généraliste et le pneumologue n’ont pas les mêmes champs de compétences nécessaires et donc les mêmes besoins de formations. En février 2012, la Haute Autorité de santé (HAS), dans « le parcours de soins d’un patient BPCO », a d’ailleurs donné un aperçu de ces champs de compétences en définissant quand adresser un patient au pneumologue [11].
La réalisation de spirométries devra permettre au médecin généraliste de rechercher un syndrome obstructif, d’en apprécier la gravité, de différencier un asthme d’une BPCO, de suspecter un syndrome restrictif et plus largement de suivre l’évolution de ces pathologies. Pour atteindre ces objectifs, un médecin généraliste devra être capable d’obtenir et d’analyser les paramètres spirométriques suivants : le VEMS, la CVF, le rapport VEMS/CVF et la réversibilité aux bronchodilatateurs.
Une formation de qualité
Même si seuls certains paramètres spirométriques sont utiles en médecine générale, il ne s’agit pas pour autant d’effectuer des explorations fonctionnelles respiratoires au rabais. Les critères d’acceptabilité et de reproductibilité restent opposables et devront donc être enseignés. Au-delà de la formation théorique, l’enseignement abordera aussi les modalités pratiques de réalisation (explication des manœuvres respiratoires au patient, organisation de l’examen au cabinet…).
La mise en place conjointe d’une formation initiale et continue
Habitués à utiliser l’électrocardiogramme durant leurs stages d’externat et d’internat, de nombreux nouveaux médecins généralistes n’envisageraient plus de ne pas s’équiper d’un appareil dans leur pratique. Cette évolution doit servir de modèle à la spirométrie et nous pousser à accentuer nos efforts sur la formation initiale, incluant le second cycle des études médicales.
Un apprentissage pratique lors du stage ambulatoire niveau 1 (ou stage autonome en soins primaires ambulatoire supervisé [SASPAS]) du DES de médecine générale, pourrait s’associer à des séances d’enseignements plus théorique à la faculté, en petits groupes d’étudiants. De plus, les échanges entre le maître de stage et l’interne seraient l’opportunité d’intégrer l’articulation « médecin généraliste-pneumologue » (HAS, 2012), le travail en réseau autour d’un patient, l’organisation du cabinet, la place de la spirométrie dans le sevrage tabagique et l’apprentissage d’un discours adapté au patient lors d’une spirométrie normale.
Néanmoins, la formation initiale ne suffira pas. Avec les années et en l’absence de nouvelle formation, la qualité de la réalisation et de l’interprétation des spirométries risque de baisser. La mise en place de formations continues et d’une démarche d’évaluation des pratiques professionnelles pourraient permettre de pallier ce problème. Un médecin pourrait ainsi envoyer tous les ans 10 examens de son choix à un responsable de formation. Les erreurs survenues dans la réalisation ou l’interprétation des spirométries seraient alors corrigées puis renvoyées au médecin.
Des questions restent en suspens…
Existe-t-il un bénéfice à dépister les patients BPCO avant le stade 3 ? Quels critères de dépistage proposer ?
L’intérêt du dépistage de la BPCO à partir d’un stade 3 est démontré . Avant ce stade de sévérité, le bénéfice pour les patients reste discuté. Or c’est souvent aux stades précoces d’évolution que les patients consultent leur médecin généraliste. Le développement de la recherche en soins primaires permettra la mise en place d’études ambitieuses, pluridisciplinaires, pour répondre à cette question. L’enjeu étant de savoir si l’on décide ou non de dépister tous les patients BPCO quels que soient leurs stades de gravité. De la réponse à cette question découlera le choix des critères de dépistage individuel de la BPCO. Actuellement, peu de sociétés savantes parlent d’une seule voix et les critères comme l’âge, le nombre de paquets années ou la présence de symptômes différents selon les recommandations.
Au-delà des arguments scientifiques, il sera important de prendre en compte la motivation des médecins généralistes à réaliser demain des spirométries au sein de leurs cabinets pour ne pas reproduire l’échec du minispiromètre au début des années 2000. Le succès d’une politique de dépistage de la BPCO dépendra tout autant des critères de dépistage choisis que de l’adhérence des professionnels de santé. Il faudra donc trouver le bon équilibre entre des critères trop sensibles laissant craindre une démotivation légitime des médecins généralistes qui, une fois formés, obtiendraient un examen anormal trop rarement et des critères trop spécifiques qui ne leurs permettraient pas de réaliser assez souvent l’examen et entraînerait inévitablement une démotivation et une perte de niveau.
Quelle est la place de la spirométrie dans le sevrage tabagique ?
Le sevrage tabagique est un enjeu quotidien en médecine générale. En dehors de l’efficacité prouvée de la détermination de l’âge pulmonaire , , les études peinent à attester d’un effet positif du résultat d’une spirométrie pour faire cesser l’intoxication tabagique . Les futures formations à la spirométrie en médecine générale devront aborder ce problème pour éviter toute dérive des pratiques.
Répondant à un besoin de santé publique, la mise en place d’une formation à la spirométrie en médecine générale nous semble indispensable. La collaboration étroite entre pneumologues et médecins généralistes est incontournable pour réfléchir au contenu tant des études à mener que des formations à proposer. Le temps des « prés carrés » est révolu, celui des équipes multidisciplinaires souhaité. Tout reste à faire…
Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
© 2015 Publié par Elsevier Masson SAS.