BPCO et non-fumeur ?
L’augmentation importante, au cours des dernières années, d’articles venant de l’épidémiologie populationnelle dans les journaux de médecine clinique apporte une vision parfois nouvelle sur des problèmes cliniques anciens et de sérieuses remises en question. Ainsi en va-t-il de la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO).
Cette année, une prise de position de l’
American Thoracic Society appelle l’attention des cliniciens sur le fait qu’une bonne proportion des cas de BPCO ne peut pas être expliquée par le seul tabagisme. L’article expose le rôle probable ou supputé des facteurs génétiques, de la pollution atmosphérique, du tabagisme passif, des expositions professionnelles, des formes persistantes d’asthme, des fumées de ménage (résultant de la combustion de biomasse dans les habitations des pays pauvres), de l’alimentation, et enfin de la tuberculose.
En 1984, le rapport du
Surgeon General américain estimait que l’immense majorité des cas de BPCO aux Etats-Unis étaient attribuables au tabagisme.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] Vingt ans plus tard, en 2007, l’étude BOLD, qui s’intéresse à la prévalence de la BPCO dans le monde, rapporte que la prévalence de la BPCO chez les non-fumeurs tend à être semblable à celle des ex-fumeurs et des fumeurs de moins de dix unités paquet-années. L’équipe autrichienne du projet BOLD publie même que, chez les Autrichiens âgés de 40 à 98 ans, on trouve une prévalence de 9,5% de BPCO (définie par un syndrome obstructif non réversible après bronchodilatateur) dont près d’un tiers (28%) sont des non-fumeurs.
La maladie aurait-elle donc changé au cours du temps ou a-t-on simplement occulté jusqu’ici l’existence des patients non fumeurs atteints de BPCO ?
La BPCO est définie par le consensus GOLD
(Global initiative for obstructive lung diseases) comme «une maladie pulmonaire obstructive, non ou incomplètement réversible, habituellement progressive, et résultant d’une réponse inflammatoire anormale à l’inhalation de particules ou de gaz nocifs». Le problème lié aux études populationnelles est double : tout d’abord elles partent du principe que la non-réponse à un seul test bronchodilatateur définit la non-réversibilité de l’obstruction. Pourtant un asthmatique ne répond pas toujours, loin de là, à une seule inhalation de bronchodilatateur et c’est souvent un traitement prolongé qui permet de faire disparaître l’obstruction. Le deuxième problème est lié à l’agrégation des données épidémiologiques provenant d’une part des pays occidentaux (Etats-Unis, Europe) et d’autre part de celles des pays émergents. Dans ces derniers pays, les fumées de ménage (biomasse) sont effectivement à l’origine d’une très grande proportion de BPCO, spécialement chez les femmes – mais cet élément n’est pas applicable aux pays fortement industrialisés.
Enfin se pose aussi la question de savoir si un asthme persistant qui conduit à un syndrome obstructif permanent,incomplètement réversible sous un traitement optimal, peut être qualifié de «BPCO». C’est un vieux débat qui ramène à ce que l’on a appelé autrefois l’hypothèse hollandaise
(dutch hypothesis) selon laquelle BPCO et asthme ne seraient que deux phénotypes de la même maladie. Il existe cependant de nombreux éléments biologiques qui suggèrent que asthme et BPCO ont des pathogenèses différentes. Afin de préserver une certaine intelligibilité à l’enseignement des maladies respiratoires, continuons donc de considérer que l’asthme et la BPCO sont deux maladies distinctes car les implications thérapeutiques d’une telle distinction sont importantes.
Ainsi, l’asthme mis à part, la BPCO du non-fumeur est-elle réellement une maladie fréquente ?
Du point de vue de la pratique clinique probablement pas, du moins dans les pays occidentaux. Une des rares études qui s’est attachée à cette question provient d’une consultation ambulatoire de l’Hôpital de Leicester, en Angleterre. Parmi 441 patients consécutifs présentant une obstruction résistant à un essai de bronchodilatateur, les auteurs identifient finalement 22 patients non-fumeurs (5%) qui souffrent d’une obstruction non réversible, inexpliquée, les autres étant fumeurs ou asthmatiques. Un éditorial récent incite les cliniciens à investiguer ces cas très particuliers avant de les appeler «BPCO»
L’appel de l’
American Thoracic Society à considérer que le tabagisme n’est pas seul à expliquer la BPCO est-il donc décalé par rapport aux préoccupations du clinicien ? Certainement pas. Si la pollution atmosphérique, le tabagisme passif et les expositions professionnelles ne peuvent que rarement être incriminés comme seule cause d’une BPCO, il n’en reste pas moins que leur contribution à la maladie respiratoire obstructive comme facteur aggravant est sous-estimée et que cet appel est un plaidoyer pour des mesures de santé publique qui protègent les sujets les plus fragiles ou les plus susceptibles. L’épidémiologie génétique nous apprendra bientôt pourquoi une exposition professionnelle tolérable pour certains a des conséquences objectivement néfastes pour d’autres et qu’il en va de même pour la pollution et pour le tabagisme passif. L’appel de l’
American Thoracic Society n’a pas pour but de minimiser le rôle du tabagisme actif comme cause prépondérante de la BPCO, mais bien de nous rappeler que rien n’est jamais tout simple (une cause, un effet) et que la remise en question doit rester la base de la pensée médicale. ■