Asthme difficile et syndrome d'hyperventilation : faire la part des choses
Auteur : Aude Lecrubie
Paris, France— Lors d'une session de la 7ème édition du Congrès Francophone d'Allergologie, sur les « faux asthmes » difficiles, le Dr Cécile Chenivesse (pneumologue, Hôpital de la Pitié Salpêtrière, Paris) est revenu sur l'un des diagnostics différentiels et facteur aggravant de l'asthme, le syndrome d'hyperventilation [1].
« Le syndrome d'hyperventilation et l'asthme sont deux pathologies très fréquemment associées parce qu'elles reposent sur des anomalies physiopathologiques qui sont identiques. Cela pose le problème du diagnostic différentiel de l'asthme sévère et du syndrome d'hyperventilation comme facteur aggravant d'un asthme difficile », a souligné le Dr Chenivesse.
Lorsque un asthme est dit « difficile », il est convient de vérifier la validité du diagnostic d'asthme, de vérifier l'observance et de rechercher les facteurs aggravants.
Diagnostics différentiels de l'asthme
la dysfonction des cordes vocales ;
le syndrome d'hyperventilation ;
la broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO) ;
La dilatation des bronches, la pneumopathie interstitielle, l'emphysème, la polychondrite (diagnostic au scanner haute résolution) ;
Un obstacle, une bronchomalacie, une amylose bronchique (diagnostic par fibroscopie bronchique) ;
l'insuffisance cardiaque gauche.
Ces « faux asthmes » sont de diagnostic difficile et impliquent une prise en charge totalement différente, qu'il s'agisse de la dysfonction des cordes vocales, du syndrome d'hyperventilation ou des formes obstructives de l'hypertension veineuse pulmonaire « asthme cardiaque », fréquent chez le sujet âgé.
Diagnostic et traitement du syndrome d'hyperventilation alvéolaire
« Le syndrome d'hyperventilation (alvéolaire) est connu depuis fort longtemps mais il a eu plusieurs définitions car nous ne connaissons pas les mécanismes qui sont à l'origine de cette pathologie », a expliqué le Dr Chenivesse.
La définition retenue a été publiée par R. A. Lewis (Service de médecine thoracique, Killingbeck Hospital, Leeds, Royaume-Uni) en 1986 : « Le syndrome d'hyperventilation chronique est caractérisé par une grande diversité de symptômes somatiques affectant habituellement plusieurs systèmes induits par une hyperventilation physiologiquement inappropriée. Ces symptômes peuvent être reproduits totalement ou partiellement par une hyperventilation volontaire. » [2]
La prévalence du syndrome d'hyperventilation dans l'asthme est estimée à 30%, selon une étude d'E. P. Grammatopoulou (Université Nationale d'Athènes, Grèce) de 2011 [3].
Lorsqu'asthme et syndrome d'hyperventilation sont associés, l'asthme est plus sévère, moins bien contrôlé et le volume expiratoire maximal par seconde (VEMS) est diminué.
Le traitement de l'hyperventilation améliore à la fois le contrôle de l'asthme et le VEMS.
Les examens utiles pour mettre en évidence une hyperventilation alvéolaire sont la gazométrie artérielle, le questionnaire de Nijmegen, et le test de provocation d'hyperventilation. Une fois l'hyperventilation alvéolaire mise en évidence, il est indispensable d'éliminer toute cause organique d'hyperventilation alvéolaire (respiratoire, cardiaque, musculaire, du contenu artériel en oxygène et neurologique) par un bilan organique exhaustif.
L'examen qui peut être d'une grande aide dans ce cas-là, est l'épreuve fonctionnelle d'exercice qui est normale dans le syndrome d'hyperventilation et qui permet d'éliminer un problème d'adaptation à l'exercice d'origine respiratoire, cardiaque, musculaire ou du contenu artériel en oxygène.
Le traitement du syndrome d'hyperventilation est la kinésithérapie respiratoire. « Elle est très efficace mais très peu de kinésithérapeutes savent la réaliser correctement comme pour la dysfonction des cordes vocales », a précisé l'intervenante qui a ajouté que les traitements psychotropes et anxiolytiques sont inefficaces.
Des similitudes et des différences
L'asthme et le syndrome d'hyperventilation peuvent être aisément confondus dans la mesure où ils surviennent à peu près sur le même terrain de sujets jeunes, qu'il s'agit d'épisodes de dyspnée qui surviennent le plus souvent au repos, et que l'examen clinique est la plupart du temps normal.
Néanmoins, il existe des différences cliniques qui peuvent faire évoquer l'une ou l'autre des pathologies. Le patient asthmatique a des symptômes nocturnes et répond aux bronchodilatateurs de courte durée d'action ce qui n'est pas le cas dans le syndrome d'hyperventilation. Et inversement, des signes d'hyperventilation extra-thoraciques peuvent être retrouvés dans le syndrome d'hyperventilation mais c'est très rarement le cas dans l'asthme.
Examens paracliniques
Asthme
Syndrome d'hyperventilation
Spirométrie (examen principal)
Trouble ventilatoire obstructif (TVO) réversible ou hyperréactivité bronchique (HRB)
normale
Score de Nijmegen
<23/64
>23/64
Gazométrie
normale
Hypocapnie
Test de provocation
négatif
positif
Epreuve fonctionnelle d'exercice
TVO
Normale ou parfois une hyperventilation alvéolaire mais sans obstruction bronchique
Le syndrome d'hyperventilation comme facteur aggravant
« La situation la plus difficile est la situation de l'asthme associé à un syndrome d'hyperventilation où l'asthme semble non contrôlé, parce qu'en fait, il est associé à un syndrome d'hyperventilation », a indiqué Cécile Chenivesse.
Dans la conduite à tenir dans les asthmes difficiles, la recherche de facteurs aggravants doit être systématique.
« Un asthme non contrôlé et un asthme associé à un syndrome d'hyperventilation peuvent être confondus parce que le score de contrôle de l'asthme repose sur de nombreux symptômes rapportés par le malade qui sont similaires dans le syndrome d'hyperventilation », a expliqué le Dr Chenivesse.
Les symptômes diurnes de plus de deux semaines sont présents dans les deux cas, ainsi que la limitation des activités, et le recours aux traitements de secours (bronchodilatateurs de courte durée d'action). En revanche, les symptômes nocturnes, le débit expiratoire de pointe (DEP) et VEMS < 80% ne sont observés que dans l'asthme non contrôlé.
« Tout le problème est de poser le diagnostic d'hyperventilation dans l'asthme parce que les tests diagnostiques qui ne sont déjà pas validés dans le syndrome d'hyperventilation, sont encore moins validés chez les patients asthmatiques », a noté la spécialiste.
L'examen qui aurait la meilleure valeur prédictive positive est le score de Nijmegen quand il est positif. Le problème est que sa valeur prédictive négative est probablement très basse mais non évaluée. Dans ce contexte, c'est à nouveau l'épreuve fonctionnelle métabolique qui va permettre de distinguer ce qui limite l'exercice (trouble ventilatoire obstructif, épreuve fonctionnelle d'exercice normale, hyperventilation alvéolaire).
« Sur une étude récente qui a fait pratiquer une épreuve fonctionnelle métabolique à 39 asthmatiques sévères, il a été mis en évidence 14 patients qui avaient une hyperventilation alvéolaire », a souligné la pneumologue.
En conclusion, « l'intrication des anomalies physiologiques entre l'asthme et le syndrome d'hyperventilation justifie que l'on recherche systématiquement un syndrome d'hyperventilation dans l'asthme difficile en tant que diagnostic différentiel et en tant que facteur aggravant. Aussi, il faut traiter l'hyperventilation alvéolaire parce que le traitement est simple et sans effets secondaires, mais il faut faire attention parce qu'il n'y a pas de test diagnostic « gold standard ». Il faut donc garder une démarche diagnostique rigoureuse pour ne pas tomber dans le piège de l'excès où on évoque le syndrome d'hyperventilation devant tout asthme difficile», a indiqué l'oratrice.
Le Dr C Chenivesse n'a pas déclaré de liens d'intérêts en rapport avec le sujet.