Xanax, lexomil… : que penser des benzodiazépines ?
Ce n’est un secret pour personne : les sociétés modernes, caractérisées par la recherche de la productivité, induisent un rythme professionnel et personnel intense. De plus en plus de gens se disent stressés ou anxieux. A ce problème, les professionnels de santé répondent parfois par la prescription de benzodiazépines. Valium, Tranxen, Lexomil… Constituent-ils une solution ? Sont-ils néfastes ? Que peut-on en penser ?
Les benzodiazépines contre l'anxiété
Les benzodiazépines sont des molécules qui agissent sur le système nerveux central et qui possèdent 5 propriétés fondamentales mais à des niveaux différents en fonction de leur structure chimique :
1. Amnésiantes : qui favorisent la perte de mémoire
2. Anxiolytiques : qui agissent contre l’anxiété
3. Sédatives et hypnotiques : qui induisent le sommeil
4. Myorelaxantes : qui décontractent les muscles
5. Anticonvulsivantes : qui traitent ou préviennent les convulsions
En France, 22 benzodiazépines et apparentées sont actuellement commercialisées (la liste complète est disponible ici-même)1.
Une inhibition du système nerveux
Ces molécules synthétiques ont le pouvoir de se fixer sur un récepteur cellulaire, normalement réservé au GABA (acide γ-aminobutyrique), un composé chimique naturel qui inhibe le système nerveux. En s’y accolant, les benzodiazépines augmentent l’affinité de ces récepteurs pour le GABA, et donc décuplent son pouvoir d’action. Plus l’individu absorbe de benzodiazépines, plus le GABA se fixe facilement aux neurones et plus l’inhibition du système nerveux est forte.
Traiter l’anxiété
Les benzodiazépines sont capables d’anesthésier un état anxieux2. Il s’agit d’un état normal en soi, puisque c’est une réponse émotive et psychologique à une situation d’alerte ou à des difficultés personnelles. Parfois, cependant, cet état anxieux peut devenir envahissant et entraîner des souffrances importantes à l’individu. C’est dans ce cas précis que les benzodiazépines sont prescrits par les professionnels de santé, afin de réduire ou supprimer les symptômes qui accompagnent l’anxiété. Néanmoins, ils ne permettent pas de traiter les causes de l’anxiété à la racine.
Il faut noter que l’usage des benzodiazépines en tant qu’antidépresseur n’est pas approprié. Au contraire, ceux-ci vont corriger l’état anxieux et orienter vers l’état dépressif. Certains benzodiazépines (les anxiolytiques) permettent de réduire les troubles du sommeil, tandis que certains autres peuvent être prescrits en cas d’épilepsie, de dystonies musculaires, de mouvements anormaux ou de douleurs neuropathiques rebelles.
Une durée de prescription stricte
Elle est limitée :
à 4 semaines pour les benzodiazépines hypnotiques (sauf flunitrazépam, limité à deux semaines, avec prescription sur ordonnance sécurisée et fractionnement de la délivrance pour une semaine)
à 12 semaines pour les anxiolytiques (sauf clorazépate dipotassique 20 mg, limité à 4 semaines).
Il est très important de respecter ces durées. L'arrêt du traitement devrait être prévu par écrit dès sa mise en route, par exemple en indiquant sur l'ordonnance la date de début et la durée du traitement.
Les femmes âgées les plus concernées
Les études montrent que les sujets consommant des benzodiazépines sont majoritairement des femmes (près de 60%). Par ailleurs, l’âge médian des consommateurs est de 48 ans3. Il faut également noter, qu’en moyenne, un patient sur 4 traités par une benzodiazépine est atteint d’une pathologie chronique.
Le traitement par les benzodiazépines est indispensable pour de nombreuses personnes mais comme tout médicament, il présente des effets secondaires.
Des effets secondaires reconnus
L’ensemble des risques généraux liés à l’usage des benzodiazépines est bien connu et figure dans le Résumé des Caractéristiques du Produit (AMM) de chacune d’elle1. Ainsi, leur usage peut entraîner :
Une amnésie antérograde (perte de la mémoire des faits récents) qui augmente proportionnellement avec la dose.
Une altération des fonctions psychomotrices pouvant survenir dans les heures suivant la prise.
Un syndrome associant, à des degrés divers, des troubles du comportement et une altération de l’état de conscience. Peuvent être ainsi observés les effets suivants : aggravation de l’insomnie, cauchemars, agitation, nervosité, idées délirantes, hallucinations, état confuso-onirique, symptômes de type psychotique, désinhibition avec impulsivité, euphorie, irritabilité, amnésie antérograde et suggestibilité.
Une tolérance caractérisée par une diminution progressive de l’effet thérapeutique pour une même dose administrée pendant plusieurs semaines. La tolérance peut conduire à une augmentation des doses pour obtenir l’effet recherché.
Ces effets secondaires ne sont pas fréquents et s’estompent rapidement après la prise. En réalité, le principal problème des benzodiazépines est la très forte dépendance qu’elles induisent, aussi bien sur le plan psychique que physique.
Une dépendance psychologique et physique fortes
Au début, la dépendance n’est que psychologique, mais peu à peu, la tolérance s’installe, nécessitant une augmentation de la dose pour obtenir l’effet initial. « Quand on prend des benzodiazépines pendant plus d’un mois, on a des signes de dépendance physique qui se manifestent notamment par les “effets rebonds”, c’est-à-dire qu’au moment où on arrête, pendant quelques temps, on va plus mal qu’avant. » explique le Docteur Mallaret, praticien hospitalier. Les symptômes qui apparaissent alors sont des manifestations du sevrage. Ils peuvent être extrêmement différents en fonction des individus, de la durée de consommation et du produit ingéré :
Anxiété
Tremblements et agitation
Convulsions et attaques d'apoplexie
Paranoïa, hallucinations et délire
Ces symptômes ne sont pas anodins et il est indispensable d’être sous surveillance médicale en cas d’arrêt du traitement. Celui-ci doit être progressif : les doses absorbées doivent être diminuées petit à petit pour éviter des effets secondaires sévères, et une éventuelle rechute.
C’est ce risque de dépendance qui est à l’origine des durées de prescription, fixées à 12 semaines. Malheureusement, celles-ci ne sont que trop peu respectées… L’ANSM révèle que le temps de traitement médian est de 7 mois pour une benzodiazépine anxiolytique et hypnotique. Toujours selon elle, environ la moitié des sujets traités par ces médicaments le sont plus de 2 ans (avec ou sans interruption de traitement). Cette dépendance s’accompagne également d’un surdosage : environ 18% des patients ont une posologie journalière estimée supérieure à celle recommandée par l’autorisation de mise sur le marché. Une addiction que beaucoup vivent comme un enfer : « Au départ c’est un simple traitement de trois semaines, mais en fait, vous n’arrivez jamais à vous en débarrasser. J’ai mis dix ans pour m’en sortir… » témoigne une ancienne consommatrice. Un cas extrême qui rappelle toutefois que les recommandations ne sont pas à prendre à la légère. Malheureusement, il n’est pas jamais évident de savoir qu’on devient dépendant, car comme toute substance, ses effets sont différents sur chacun…
Les effets à long terme
Au-delà des inconvénients inhérents à la dépendance physique d’un produit, la consommation chronique des benzodiazépines pose des problèmes de santé publique. Depuis quelques années, les études se multiplient pour démontrer les conséquences à long terme de ces psychotropes. Avec plus ou moins de succès… Si certaines manquent encore de poids pour convaincre la sphère scientifique, d’autres sont désormais communément admises. Le point sur les différents liens qui existent entre les benzodiazépines et certains risques.
Les benzodiazépines augmentent-ils les accidents de la route ?
Une revue exhaustive de cette question a été faite dans le rapport d’A.Cadet pour l’Observatoire Français des Drogues et Toxicomanies (OFDT)2 et a contribué à l’établissement d’un classement des médicaments en fonction de leur dangerosité. Afin d’informer les automobilistes, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) a notamment fait apposer sur les boîtes de médicaments trois pictogrammes.
Les benzodiazépines augmentent-ils le risque de chute chez les personnes âgées ?
Les études menées sur la prescription de benzodiazépines et le risque de chutes présentent des résultats contradictoires. Pierfitte, Macouillard et leurs collaborateurs ont cherché à déterminer l’existence d’un lien entre la prise de benzodiazépines et le risque de fracture de la hanche chez les personnes âgées3. Les résultats ont montré que leur consommation n’était pas associée à une augmentation du risque de fracture. En revanche, Leipzig et ses collaborateurs ont réalisé une méta-analyse4 qui montre que l’usage de benzodiazépines augmente le risque de chute de 1,5 fois. Difficile donc d’y voir un lien probant.
Les benzodiazépines augmentent-ils le risque de démence, et notamment la probabilité de contracter la maladie d’Alzheimer ?
L’Afssaps examine actuellement le lien entre ces molécules, et les formes de démence (dont la maladie d’Alzheimer fait partie) suggéré par plusieurs études, et notamment celle du professeur Bernard Bégaud qui a récemment fait l’effet d’une bombe5.
Nombreuses sont celles qui ont tenté d’évaluer ce risque d’altération de la fonction cognitive, mais seulement dix études publiées ont été retenues et les résultats ne sont pas concordants. Six études concluent à une association, une étude retrouve un effet protecteur des benzodiazépines sur l’apparition d’une démence et quatre ne retrouvent pas d’association ou ne permettent pas de la mettre en évidence pour des raisons statistiques.
Ainsi, contrairement à des idées communément admises, le lien entre ces psychotropes et les effets à long terme présentés ci-dessus, n’est pas prouvé. Ces absences de certitudes ne doivent néanmoins pas cautionner la consommation record des benzodiazépine en Occident…
Surconsommation : le mésusage des benzodiazépines
Surconsommation : le mésusage des benzodiazépines
Les risques présentés par les benzodiazépines sont d’autant plus inquiétants que leur consommation s’est dangereusement banalisée. En France, elle bat même des records en Europe : 3,8 millions en consomment régulièrement, soit deux fois plus qu’en Espagne et cinq fois plus qu’en Allemagne1. L’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) note que plus de 25 millions de personnes ont été exposées à ces médicaments entre 2006 et 2011. Un chiffre qui n’a pas manqué de faire réagir La Haute Autorité de Santé, auteur récent d’une campagne d’information sur le sujet2.
Pour Bernard Bégaud et Dominique Costaglia, co-auteurs d’une étude sur la « consommation médicamenteuse des sujets âgés »3, le mal est avant tout français. « La France est un des pays dans lequel les prescriptions et l'usage irrationnel sont les plus prévalents" déplorent-ils dans leur rapport. On y apprend notamment que parmi les 80 à 89 ans, 43,5% consommeraient des benzodiazépines contre l'anxiété et l'insomnie. Les occidentaux se montreraient-ils de plus en plus stressés ? C’est en tout cas ce que pense Claude Leicher, président du syndicat des médecins généralistes : « Depuis une dizaine d'années, nous constatons que la pression dans le monde du travail a considérablement augmenté du haut en bas de l'échelle sociale. Il n’est pas un jour où nous ne sommes pas face à un patient en demande de prise en charge d’un trouble anxieux », ajoute-t-il. Et dans ce cas, difficile de refuser... Une enquête a ainsi montré que la difficulté du refus du médecin intervenait dans cette surprescription de benzodiazépines « dans une logique compassionnelle ».
Lutter contre la mauvaise utilisation…
Face aux demandeurs, les médecins restent en difficulté. Et pour cause ! Rapides, efficaces et provoquant peu d’effets secondaires, les benzodiazépines ont beaucoup d’atouts pour eux. Si bien, que bon nombre de médecins déplorent les procès attentés à ces molécules. Christophe Bagot, psychiatre et spécialiste du stress en fait partie : « ils sont sur le marché depuis suffisamment longtemps pour qu’on ait une idée assez précise de leurs conséquences, et d’ailleurs aucune autorité de santé n’a pris de décision de les retirer du marché » fait-il remarquer. « La mode est aux recommandations bien culpabilisantes. Coupable et stressé, voilà le lot des femmes et des hommes contemporains. Et n’oublions pas les conséquences possibles du stress : risques cardiaques augmentés, diabète… » ajoute-t-il.
ou penser à d’autres alternatives
Pour autant, on ne peut nier les problèmes de dépendance qu’ils engendrent. L’ANSM révèle que le temps de traitement médian est de 7 mois pour une benzodiazépine anxiolytique et hypnotique. Bien loin des 12 semaines recommandées… « Les benzodiazépines sont très utiles mais ils sont mal utilisées. La moitié des personnes qui en consomment sont traitées hors recommandations. Mais on a peur que, si les gens arrêtent en masse les anxiolytiques, la consommation d’alcool reparte à la hausse. Voire pire : qu’ils se dirigent vers des psychotropes plus à risques ». Dès lors, une question s’impose : n’y a-t-il pas d’alternatives plus douces vers lesquelles se tourner ?
…ou penser à d’autres alternatives
Pour le professeur Edouard Zarifian , psychiatre et auteur de l’ouvrage "La Force de Guérir", la réponse est évidente : « Je ne critique pas le médicament, mais son utilisation systématique et abusive. Il faut revenir à la clinique. Il s’agit d’un homme ou d’une femme dont la plainte en matière de sommeil ne doit pas être prise au premier degré. C’est une erreur de commencer à prescrire un médicament avant même d’aller plus loin. On n’a qu’une chance sur cent de se trouver devant un vrai trouble du sommeil. Ce qu’il faut, c’est découvrir à quoi correspond cette plainte. » Outre ce travail relationnel relatif aux professionnels de soin, il existe aussi des moyens pour diminuer son anxiété sans passer par la case « médicaments ». En Angleterre et en Allemagne, où la consommation de benzodiazépines est moindre, la phytothérapie est très utilisée, tout comme la psychothérapie. Nombreux sont les professionnels de soins à déplorer d’ailleurs le non-remboursement de cette pratique en France.
La méditation, les approches créatrices (danse,
ou même jardinage) et l’activité physique régulière sont autant de pratiques pour lesquels les bénéfices contre le stress ne sont plus à prouver4. Dernièrement, une activité s’est même greffée à la liste : la balnéothérapie. L’intérêt des cures thermales pour améliorer la qualité du sommeil et les symptômes anxieux vient d’être avancé par l’étude SPECTh5.
Au-delà de toutes ces alternatives, les personnes sensibles au stress ou soumises à un contexte stressant doivent impérativement favoriser des états de bien-être et revoir leur hygiène de vie. Sommeil, alimentation, jeux, équilibre travail/repos : rien ne doit être négligé. Réapprendre à vivre en soit. Le défi majeur d’une société moderne où le besoin d’immédiateté dicte les conduites.
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Martin Lacroix