Dossier : Dénutrition et BPCO
Pr Fernand LAMISSE
Parmi les patients souffrant d’une bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), 40 % de ceux qui perdent du poids meurent dans un délai de cinq ans. La dénutrition s’explique par des apports alimentaires diminués et surtout par l’augmentation de la dépense énergétique de repos. La perte de poids reste difficilement réversible malgré des mesures complémentaires à la suralimentation : hormone de croissance, stéroïdes anabolisants et exercice physique modéré.
Dans les pays industrialisés, les bronchopneumopathies chroniques obstructives (BPCO) touchent 4 à 6% de la population masculine. Vingt-cinq à 60% des sujets qui souffrent d’une BPCO ont un poids corporel inférieur à 90% du poids idéal théorique ou une perte de 5-10 % du poids corporel initial. Cette perte de poids est associée à un mauvais pronostic. Plus de 40% des patients qui perdent du poids meurent dans un délai de 5 ans et à poids moyen initial identique, la survie à 5 ans est deux fois moindre chez les sujets qui perdent du poids que chez ceux dont le poids est stable. La perte de poids est un facteur pronostique indépendant de la valeur du volume expiratoire maximum par seconde (VEMS). La baisse de poids corporel explique en partie l’état d’épuisement rapporté par certains patients qui souffrent de BPCO.
I - DÉFINITION DES BPCO
Les BPCO, telles la bronchite chronique, l’emphysème et certaines formes d’asthme chronique, se caractérisent par des lésions progressives et irréversibles des petites voies aériennes et des anomalies diffuses du rapport ventilation/perfusion. La diminution du VEMS est le meilleur indicateur de l’obstruction des voies aériennes et un élément prédictif essentiel de la survie.
BPCO : CRITÈRES PNEUMOLOGIQUES DE MAUVAIS PRONOSTIC |
| Tachycardie de repos Signes de cœur pulmonaire chronique Hypoxie Hypercapnie Diminution du VEMS : - VEMS entre 1,2 et 1,5 litres : dyspnée d’effort - VEMS < 1 litre : - hypoxie sévère, hypercapnie - signes de cœur pulmonaire chronique - VEMS < 0,5 litre : patient invalide |
II - COMPOSITION CORPORELLE ET BPCO
La perte de masse grasse et la diminution de la masse musculaire apparaissent précocement, alors que le patient a encore un poids normal et stable. La fonte musculaire est due, comme dans la cachexie cancéreuse, à la baisse de la synthèse protéique dont les mécanismes possibles sont l’hypoxie, la dénutrition et la diminution progressive de l’activité physique.
III - LA DÉNUTRITION : QUELS MÉCANISMES ?
Dans les BPCO, le bilan énergétique est négatif et s’aggrave lors des poussées aiguës. Pour l’expliquer on a évoqué des apports alimentaires insuffisants, une malabsorption digestive, des modifications du métabolisme des nutriments et une augmentation des dépenses énergétiques.
Apports alimentaires insuffisants ?
Les apports alimentaires diminuent dans les BPCO. Manger et déglutir majorent la dyspnée et la désaturation artérielle en oxygène, notamment lors des poussées évolutives. L’hypoxie tout comme l’élévation du Tumor Necrosis Factor alpha (TNF - alpha) sont des facteurs anorexigènes. Les travaux qui, dans les BPCO, n’ont pas constaté de différences entre apports et dépenses énergétiques (et qui ont conclu pour cela à des apports alimentaires suffisants) utilisent en fait, pour mesurer la dépense énergétique de repos (DER), la formule de Harris Benedict qui sous-estime la DER réelle, mieux évaluée par la calorimétrie indirecte.
Malabsorption digestive ?
Il n’a pas été décrit de maldigestion ni de malabsorption gastrique, pancréatique ou intestinale chez les patients souffrant de BPCO.
Modifications du métabolisme des nutriments ?
Physiologiquement la restriction alimentaire s’accompagne d’une diminution de la dépense énergétique de repos et d’une augmentation de l’oxydation des lipides. Lorsqu’il s’agit d’états cataboliques (infections sévères ou grandes brûlures) la dépense énergétique de repos s’accroît avec augmentation de l’oxydation des lipides et des protéines et diminution de l’oxydation des glucides. Les BPCO ne sont pas des états cataboliques mais des états hypermétaboliques : l’augmentation de la dépense énergétique de repos s’accompagne d’une oxydation accrue des glucides et des protéines, avec pour conséquence une moindre synthèse protéique, qui peut expliquer en partie la fatigue musculaire.
Dépenses énergétiques augmentées ?
Les dépenses énergétiques totales de l’organisme se répartissent en trois composantes, sur lesquelles la BPCO peut influer.
DEPENSES ENERGETIQUES DE L’ORGANISME |
- La dépense énergétique de repos (DER). Elle correspond à la dépense d’énergie mesurée chez un sujet à jeun au repos et en neutralité thermique. Dans la mesure de la DER, la dépense énergétique du tonus des muscles de posture est prise en compte. La DER se situe autour de 1,2 kcal / minute et représente 60% à 80% de la dépense énergétique totale.
- La dépense énergétique liée à l’activité physique (DEAP). Elle est très variable et difficile à mesurer. Chez un sédentaire, elle est estimée à 15-20% de la dépense énergétique totale.
- · La dépense énergétique de thermorégulation (DETR). Elle se définit comme l’augmentation de la dépense énergétique de repos en réponse à des stimuli, tels que l’alimentation, l’exposition au ou en réponse à un stress. C’est en fait la thermogenèse liée à l’alimentation qui est la source principale de cette dépense énergétique : elle représente environ 10% de la dépense énergétique totale. La thermogenèse liée à l’alimentation comprend à son tour 2 parties : la dépense énergétique post- prandiale (DEPP) obligatoire, qui dépend essentiellement du coût de stockage des aliments et la DEPP facultative, qui est un processus de dissipation de l’énergie variable selon les nutriments.
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- Dépense énergétique de repos
Qu’elle soit exprimée en pourcentage des valeurs théoriques (obtenues par a formule d’Harris- Benedict ) ou par kilogramme de masse maigre, la DER est augmentée de 10% chez les sujets qui ont une BPCO, même en dehors des poussées évolutives ou lorsque le poids est stable.
L’augmentation de la DER est-elle due à l’élévation du coût énergétique du travail respiratoire ? Chez les sujets normaux, ce coût est faible et ne représente que 2-3% de la DER. Chez les patients atteints de BPCO, les muscles respiratoires ont une charge de travail élevée, mais seul le coût respiratoire au repos peut entrer en ligne de compte dans l’augmentation de la DER. Or il n’y a pas de méthode fiable pour mesurer la dépense énergétique des muscles respiratoires au repos. On a néanmoins pu montrer récemment l’absence de relation significative entre l’augmentation de la DER et le coût énergétique respiratoire.
- Dépense énergétique liée à l’activité physique
Bien que l’activité soit plus “coûteuse” chez les patients atteints de BPCO que chez les sujets normaux, chez les premiers la réduction de l’activité physique limite considérablement ces dépenses.
- Dépense énergétique post- prandiale
L’élévation de la dépense énergétique induite par les aliments reste minime et ne permet pas d’expliquer l’amaigrissement observé dans les BPCO.
IV - BPCO ET HYPERMÉTABOLISME
La dénutrition est comparable, au cours des BPCO, à celle des patients souffrant d’un cancer ou d’une insuffisance cardiaque chronique et qui sont dans une situation d’hypermétabolisme. Il pourrait donc y avoir une cause commune à la dénutrition dans ces maladies plutôt qu’un mécanisme spécifique aux BPCO. Les mécanismes communs seraient une élévation des hormones thermogéniques (T4-T3) et des catécholamines endogènes, l’emploi de certains traitements et des cytokines. Il n’a pas été possible d’apporter la preuve que les 3 premiers mécanismes évoqués étaient à l’origine de l’augmentation de la DER. Il n’en est pas de même des cytokines et en particulier du TNF - alpha : produit par les macrophages, il inhibe la lipoprotéine- lipase, est anorexigène et pyrogène. Il déclenche le relargage d’autres cytokines telles l’interleukine 1 et 2 qui, elles aussi, augmentent les dépenses énergétiques. Une élévation du TNF-alpha a été constatée dans les BPCO en l’absence de syndrome biologique inflammatoire et chez des sujets dont l’état respiratoire est stable. Le TNF- alpha est le seul paramètre qui soit corrélé positivement à la DER alors qu’aucun paramètre respiratoire ne l’est (et en particulier pas le coût respiratoire).
V - PEUT-ON AMÉLIORER L’ÉTAT NUTRITIONNEL DANS LES BPCO ?
Le patient dénutri atteint d’une BPCO n’est pas en état catabolique. En théorie une supplémentation énergétique devrait donc conduire à un gain de poids. Les résultats d’études contrôlées ont montré que des apports énergétiques très importants, difficiles à obtenir en pratique, sont nécessaires pour obtenir un gain de poids. Lorsque la suralimentation cesse, l’amaigrissement est rapide ainsi que la diminution de la force musculaire respiratoire.
Depuis quelques années l’hormone de croissance, les stéroïdes anabolisants et l’exercice physique (même s’il reste modéré) sont utilisés en plus d’apports énergétiques adéquats.
LES PRINCIPALES MESURES POUR AMÉLIORER L’ÉTAT NUTRITIONNEL DANS LES BPCO |
- La majoration des apports énergétiques
Des apports énergétiques élevés (1,7 fois les valeurs de la DER) sont nécessaires pour obtenir un gain de poids. Ceci est très difficile à obtenir et à maintenir à moyen ou à long terme avec les seuls apports oraux. Lorsque les sujets ne sont pas encouragés à poursuivre cette suralimentation, ils abandonnent vite et retrouvent un poids insuffisant, identique à celui qui a précédé la suralimentation. De plus, la prise de poids se fait essentiellement par augmentation de la masse grasse et non de la masse maigre.
- L’hormone de croissance
Les seuls essais qui ont été rapportés montraient une augmentation de la masse maigre, une augmentation du poids et une amélioration du bilan azoté. Les effets anaboliques de l’hormone de croissance doivent s’exercer via l’IGF 1.
- Les androgènes
Il y a peu d’essais. Deux auteurs ont rapporté un effet bénéfique sur le poids de la nandrolone par voie IM, associée à des suppléments nutritionnels et à un exercice physique, par comparaison aux seuls suppléments nutritionnels associés à l’exercice physique.
- L’exercice physique
Une activité physique modérée mais régulière semble augmenter la masse maigre et améliorer la performance des muscles respiratoires. Elle est souvent difficile à mettre en œuvre.
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VI - CONCLUSION
Les mécanismes de la dénutrition lors de l’évolution des BPCO sont multiples et ne sont probablement pas tous établis de façon certaine. La prise alimentaire paraît insuffisante surtout chez les sujets dyspnéiques. Alors que les apports alimentaires restent insuffisants, l’augmentation de la dépense énergétique de repos, à laquelle il faut ajouter une diminution de la synthèse des protéines, paraît être la cause essentielle de la dénutrition. La perte de poids dans les BPCO est difficilement réversible et constitue un facteur pronostique péjoratif de premier plan.
Pr Fernand LAMISSE
CHU Tours