. Magnan*, K. Botturi*, A. Tissot*, C. Pison**
* Service de pneumologie, plateforme transversale d’allergologie, institut du thorax, CHU de Nantes ; UMR Inserm 1087 CNRS 6291, Nantes ; université de Nantes, faculté de médecine, institut du thorax, Nantes.
** Clinique universitaire de pneumologie, CHU de Grenoble ; Inserm 1055, université Joseph-Fourier, Grenoble.
Dysfonction chronique du greffon après transplantation pulmonaire : un projet de recherche clinique exemplaire Avec moins de 200 greffes en 2006 et plus de 300 en 2011 (1), l’activité de transplantation pulmonaire s’est considérablement développée en France depuis 5 ans, ce qui est évidemment une excellente nouvelle. Il n’en reste pas moins que le pronostic de cette procédure qui sauve est toujours grevé à 5 ans par la survenue de la dysfonction chronique du greffon, s’exprimant le plus souvent sous la forme d’une bronchiolite oblitérante
Les causes et les mécanismes de la bronchiolite oblitérante sont multiples et intriqués, et ceux que l’on connaît sont parfaitement décrits et développés dans l’article de ce numéro de La Lettre du Pneumologue (J. Le Pavec et al., Bronchiolite oblitérante post-transplantation pulmonaire,.
Les causes et les mécanismes de la bronchiolite oblitérante sont multiples et intriqués, et ceux que l’on connaît sont parfaitement décrits et développés dans l’article de ce numéro de La Lettre du Pneumologue Le Pavec et al., Bronchiolite oblitérante post-transplantation pulmonaire
Pourtant, cet article montre aussi que les causes de la bronchiolite oblitérante sont encore largement inconnues, de même que les mécanismes protecteurs vis-à-vis de celle-ci. Leur identification permettrait de déterminer des marqueurs précoces en fonction desquels des stratégies de prise en charge personnalisées pourraient être mises en place avant la survenue de la complication (régimes d’immunosuppression plus agressifs ou non, prévention du reflux gastro-oesophagien plus ou moins invasive, etc.). Elle permettrait de plus l’identification de cibles thérapeutiques éventuelles, telles que des facteurs de risque à traiter en eux-mêmes, ou des molécules ou types cellulaires en cause qui pourraient être spécifiquement ciblés par de futurs traitements issus des biotechnologies.
Depuis 2009, avec un soutien considérable des associations Vaincre la mucoviscidose et Grégory Lemarchal, puis du programme hospitalier de recherche clinique national, l’ensemble des centres de transplantation pulmonaire français se sont rassemblés autour d’un projet commun, intitulé COLT (COhort of Lung Transplantation [clinicaltrials.gov, identifiant : NCT00980967]). Ce projet vise à constituer une large cohorte de patients transplantés pulmonaires suivis régulièrement pendant 5 ans, avec, à chaque visite (tous les 6 mois), au moins 1 prélèvement sanguin et souvent 1 prélèvement in situ (lavage bronchoalvéolaire et/ou biopsies transbronchiques). Cette cohorte, adossée à une biocollection très large, permettra, par des approches de criblage dont la technologie ne cesse de s’améliorer ( génomique, transcriptomique, protéomique), de découvrir ces biomarqueurs et cibles thérapeutiques attendus. Le recueil de données cliniques, fonctionnelles et radiologiques, homogène dans les différents centres, permettra de mettre en évidence des facteurs de risque plus traditionnels encore non identifiés. De plus, la force de cette importante cohorte sera à terme de démontrer que l’hétérogénéité des phénotypes de la bronchiolite oblitérante relève de mécanismes divers, et des clusters de patients pourront être décrits. En effet, COLT, initialement prévue pour 500 patients transplantés, compte actuellement plus de 900 patients, dont 650 transplantés (figure). C’est déjà la plus importante cohorte de transplantés pulmonaires existante, avec une aussi large ressource biologique : plus de 35 000 échantillons biologiques sont actuellement stockés.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] Figure. Progression du nombre de patients inclus dans COLT depuis septembre 2009.
Depuis novembre 2012, COLT a connu un nouveau développement avec la mise en place du projet européen SysCLAD, qui intègre les centres de Lausanne, Zurich et Bruxelles, et propose, grâce à l’intégration des résultats de la cohorte et aux techniques informatiques de la biologie des systèmes, de créer une modélisation in silico de la dysfonction chronique du greffon (3). Le but du modèle est de prédire dès la première année quels sont les patients qui auront développé un rejet chronique à 3 ans.
COLT suivi de SysCLAD est un projet de recherche clinique exemplaire non seulement pour la transplantation pulmonaire mais encore au-delà, pour la pneumologie. En effet, le processus de dysfonction chronique du greffon, qui correspond à une inflammation active suivie d’une fibrose développée principalement aux dépens des voies aériennes mais aussi du parenchyme, est semblable à bien des égards à celui qui est en cause dans les processus de remodelage pulmonaire de maladies plus fréquentes telles que l’asthme sévère, la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) ou les pathologie pulmonaires fibrosantes. Certains facteurs de risque (infections récidivantes, pollution, reflux gastro-oesophagien) ou mécanismes (transition épithéliomésenchymateuse) sont communs. Ici, cependant, et contrairement à ces pathologies chroniques plus fréquentes, ce processus est induit à une date déterminée et connue qui est celle de la transplantation, et la maladie chronique survient rapidement, en quelques années. Ces caractéristiques permettent de mettre en oeuvre la stratégie de recherche clinique efficace proposée par COLT avec une approche longitudinale, à partir du début du processus (la transplantation) jusqu’à la survenue de la pathologie, dans un délai autorisant un suivi suffisamment rapproché et une biocollection suffisamment large. Ces caractéristiques facilitent également la modélisation mathématique proposée par SysCLAD. C’est ainsi que nous pouvons raisonnablement espérer que la pertinence de certains des facteurs de risque, mécanismes, biomarqueurs ou cibles thérapeutiques découverts en transplantation puisse être ensuite testée dans l’asthme, la BPCO ou la fibrose pulmonaire.
Le développement de la médecine prédictive, préventive, participative et personnalisée, encore appelée “médecine systémique des maladies chroniques”, est une nécessité absolue dans un contexte d’explosion de ces maladies due au vieillissement de la population et de crise économique majeure qui ne permettra pas l’accès de tous à des traitements issus des biotechnologies. En effet, pour être innovants et ciblés, ces derniers seront extrêmement coûteux, et efficaces chez certains malades seulement : nous devrons identifier les patients à risque et, parmi ceux-ci, les futurs répondeurs à ces traitements (3). Si nous ne sommes pas en mesure de faire ce travail, ces traitements ne verront pas le jour. Les grandes cohortes de patients adossées à des biocollections pertinentes permettent cette démarche. La transplantation pulmonaire et ses complications chroniques représentent l’occasion de développer ce concept dans une situation rare et grave, qui pourra être étendu à la pathologie respiratoire chronique plus fréquente.