Tiers payant généralisé : les mutuelles s’associent pour reprendre la main
Jean-Bernard Gervais
Auteurs et déclarations09 juin 2015
Paris, France –Si les médecins continuent d’exprimer leur opposition, parfois radicale, à la mise en place du tiers-payant, les principaux acteurs mutualistes et assurantiels s’organisent pour que ce chantier soit une réussite. Ainsi, les complémentaires santé et leurs fédérations respectives (CTIP, FFSA, FNMF) viennent de créer une association commune chargée de « piloter le dispositif technique de tiers-payant » [1]. Sur fond de mécontentement, quant au rôle que leur a assigné la tutelle, dans la mise en place de cette réforme car les complémentaires ne seront pas les pilotes de la généralisation du tiers-payant généralisé.
Les mutuelles veulent reprendre la main sur un dossier brûlant L’Assurance maladie assume la mission générale de pilotage du déploiement et de l’application du tiers payant.
Un amendement gouvernemental, déposé dans la dernière ligne droite de l’examen du projet de loi en mars dernier, stipule que « l’Assurance maladie assume la mission générale de pilotage du déploiement et de l’application du tiers payant » [2].
Il n’en fallait pas plus pour faire sortir de ses gonds la Mutualité française, qui s’est fendu à l’époque d’un communiqué rageur : « Au lieu de conforter les initiatives prises par les organismes complémentaires pour mettre place un dispositif simple et assurant une garantie de paiement aux médecins, le gouvernement a voulu inscrire dans la loi un dispositif complexe qui nie les réalités économiques et les contraintes techniques de la dispense d’avance de frais […] Ignorer que le tiers payant requiert un engagement des organismes complémentaires pour assumer leur responsabilité économique est une erreur. »
Les complémentaires étaient d’autant plus dépitées qu’elles assuraient avoir planché sur « une solution qui répond aux objectifs affichés par le gouvernement ». Ne s’avouant pas pour autant vaincues, les complémentaires ont donc créé cette association de pilotage du tiers payant pour, en grande partie, reprendre la main sur ce dossier brulant.
Désigner un interlocuteur unique Ignorer que le tiers payant requiert un engagement des organismes complémentaires pour assumer leur responsabilité économique est une erreur –Mutualité française -- Mutualité Française
Cette association, dont les statuts, la gouvernance, devront être déterminés à la mi-juin, se fixe pour but d’assurer la coopération des différents acteurs (assurance maladie obligatoire, éditeurs de logiciels, opérateurs de tiers-payant, GIE SESAM-Vitale…). Les complémentaires promettent également de mettre au point, au sein de cette association, un socle de règles communes (cahier des charges, normes techniques et de gestion…) pour améliorer les « échanges entre professionnels de santé et organismes complémentaires ».
Cerise sur le gâteau, « les professionnels de santé seront étroitement associés aux travaux, afin de construire des solutions faciles à utiliser et adaptées aux spécificités de chacun ».
Contacté par Medscape, la
Mutualité française assure, par ailleurs, que cette association a pour but, également, de dégager un interlocuteur unique parmi les complémentaires, à même d’échanger avec les autres professions impliquées : « le lien n’est pas rompu avec l’Assurance maladie, puisque des rencontres régulières se tiennent actuellement sur le sujet du tiers-payant, la dernière en date ayant eu lieu le 2 juin ».
« Nous vous rappelons que nous devrons remettre le 31 octobre un rapport au gouvernement sur les solutions de mise en place du tiers payant généralisé que nous préconisons », ajoute la FNMF.
Regroupement de trois opérateurs de tiers-payant Du coté des éditeurs, l’heure est aussi au regroupement : trois opérateurs de tiers-payant (Almerys, Cetip et Viamedis) viennent de créer
3AS, l’Association des Acteurs pour l’Accès aux Soins, « avec pour vocation d’être un acteur engagé dans le projet de tiers payant généralisé et d’offrir aux bénéficiaires de l’assurance maladie complémentaire des solutions leur permettant un meilleur accès aux soins » [3].
Selon un récent communiqué, cette association, qui devrait promouvoir des « solutions technologiques, organisationnelles et financières dans le but d’apporter » un dispositif de tiers-payant généralisé, représente d’ores et déjà près de 50 millions de bénéficiaires, « soit les trois quarts des assurés sociaux en France ».
Outre la promotion de solutions techniques, cette association a également pout but de faire du lobbying pour « défendre les intérêts de ses membres dans le développement de leurs entreprises ». A cette fin, elle va proposer des normes communes. Cette initiative n’étonne pas les complémentaires, bien au contraire.
Pour la Mutualité française, interrogée par Medscape, elle est même bienvenue et ne concurrence pas l’association des mutuelles et assurances. Elle semble même avoir été créée pour appuyer les revendications des complémentaires santé. Cette initiative, insistent les éditeurs, est en « cohérence avec les travaux déjà entrepris par les acteurs de la complémentaire santé et de leurs organisations professionnelles ».
Dans leur communiqué, à l’instar des complémentaires, la toute nouvelle association d’éditeurs déplore « l’institution du paiement unique comme l’une des solutions pour la généralisation du tiers-payant », qui placerait « la caisse nationale d’Assurance maladie comme seul opérateur de tiers payant ».
Palmarès des complémentaires les plus mauvaises payeuses Toujours sur le front du tiers-payant généralisé, mais dans le camp adverse, la Fédération des médecins de France (FMF), finalise un questionnaire sensé établir le palmarès des complémentaires les plus mauvaises payeuses « pour faire la démonstration que ça ne peut pas fonctionner », déclare Jean-Paul Hamon, président de la FMF, à Medscape. Ce questionnaire sera adressé aux professions de santé d’ores et déjà soumis au tiers payant, à savoir les biologistes, radiologues, pharmaciens mais aussi les établissements de santé. Sous la coupe de deux médecins, il devra établir un palmarès des complémentaires les plus mauvaises payeuses. « On veut aussi établir le ratio entre le montant des cotisations et les prestations accordées par ces complémentaires, ainsi que le délai de remboursement », précise Jean-Paul Hamon. « Nous restons sceptiques quant à la mise en place du tiers-payant généralisé. Sur l’Ile de la Réunion, où le tiers-payant est de mise, 4 complémentaires sur 11 sont mauvais payeurs. Alors imaginez ce que cela peut donner en métropole, où il existe quelque 600 complémentaires ! » Et d’ajouter que jusqu’en 2004, les médecins référents qui pratiquaient le tiers payant comptabilisaient des impayés à hauteur de 30% de leur consultation. « Nous ne comprenons toujours pas pourquoi la ministre Marisol Touraine s’entête à mettre en place cette réforme ». |