De bonnes bactéries aussi dans nos poumons?
Par Geneviève Héry-Arnaud Mis à jour le 09/04/2019 à 11:38 Publié le 09/04/2019 à 11:38
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AVIS D’EXPERT - Pour le professeur Geneveviève Héry-Arnaud*, les connaissances sur le microbiote pulmonaire et ses liens avec le microbiote intestinal ouvrent des potentialités thérapeutiques par l’utilisation de probiotiques sur différents terrains respiratoires.
Professeur Geneviève Héry-Arnaud.
Le projet de cartographie microbienne de l’humain (Human Microbiome Project), lancé en 2007 par l’institut national de la santé des États-Unis (NIH), a étudié divers organes: tube digestif, voies urogénitales, peau, bouche, nez. Quand l’étude du microbiote a pris son essor, le poumon n’était pas perçu avec intérêt. Mais la vision du microbiote pulmonaire a changé récemment, passant de celle enseignée en médecine («Un poumon sain est un poumon stérile»), à celle d’un organe occupé par des microorganismes dont la plupart, en situation normale, sont bons pour sa santé.
Les voies aériennes sont peu décrites par rapport aux autres gîtes microbiens. Cela tient à la difficulté d’accès par des prélèvements invasifs (bronchoscopie ou lavage broncho-alvéolaire). L’autre difficulté vient de la contamination oropharyngée, dont il faut s’affranchir pour fiabiliser l’observation. Mais devant l’augmentation des patients atteints de maladies respiratoires chroniques (plus de 300 millions de personnes, selon l’OMS), des équipes s’intéressent au microbiote pulmonaire, pariant qu’il pourrait être la clé du progrès, pour le diagnostic et les soins.
Un microbiote peu abondant mais d’une rare complexité
Devant l’augmentation des patients atteints de maladies respiratoires, des équipes s’intéressent au microbiote pulmonaire, pariant qu’il pourrait être la clé du progrès
Si l’intestin humain contient environ cent mille milliards de bactéries, la biomasse bactérienne pulmonaire est un million de fois plus petite (100.000 bactéries par cm3 de lavage broncho-alvéolaire). Malgré sa faible densité, ce microbiote se distingue par son exceptionnelle biodiversité. Cela tient aux origines diverses des bactéries. Car le poumon est un terrain de jeu idéal (environ 75 à 100 m2 de surface alvéolaire chez l’adulte) pour les bactéries, qui proviennent en majorité de la sphère bucco-dentaire, mais aussi de l’air inhalé (100.000 microorganismes par litre d’air inhalé) et aussi des voies digestives (par micro-aspiration). L’action combinée du mucus et des cils de la muqueuse respiratoire, à laquelle s’ajoutent la toux et les défenses antimicrobiennes locales, limite la colonisation bactérienne pulmonaire, avec un microbiote théâtre d’un ballet incessant où des bactéries s’installent et d’autres repartent par l’escalator muco-ciliaire. Les conditions pulmonaires locales sélectionnent les microorganismes les mieux adaptés à cet écosystème.
Parmi les bactéries majoritaires, on retrouve des bactéries environnementales telles Pseudomonaset des commensales: Streptococcus, Haemophilus ou Neisseria. Il est surprenant de noter la présence forte, dans ce site dédié à l’oxygénation, de bactéries «anaérobies strictes», ne tolérant donc pas l’oxygène: Prevotella, Fusobacterium, Veillonellaou Porphyromonas, qui forment ainsi un cœur anaérobie au sein même du microbiote pulmonaire. Pour un tableau complet, il faut signaler que toutes les branches du vivant y sont représentées: virus (phages), champignons et même archées.
Déséquilibre bactérien et maladies respiratoires
La colonisation des voies aériennes commence tôt dans la vie, influencée par le mode d’accouchement. La maturation de ce microbiote serait fondamentale pour la santé pulmonaire, avec trois rôles: 1/Barrière contre les bactéries pathogènes. 2/Éducation du système immunitaire local. 3/Modelage de l’architecture pulmonaire. Il est probable que d’autres rôles seront identifiés, notamment en lien avec la régulation des voies métaboliques.
Le microbiote pulmonaire résulte d’un équilibre dynamique, dont les perturbations accumulées depuis l’enfance pourraient jouer un rôle dans la survenue ou l’aggravation de maladies comme l’asthme, la bronchopneumopathie chronique obstructive, ou de maladies génétiques comme la mucoviscidose, qui se traduisent toutes par un changement profond du microbiote pulmonaire et surtout une diminution des anaérobies commensales. Ainsi, pour l’asthme, une hypothèse est qu’une modification de ce microbiote lors de la petite enfance pourrait modifier la réponse inflammatoire locale, favorisant sa survenue.
L’analyse du microbiote pulmonaire révèle des signatures caractéristiques de différents symptômes respiratoires, ce qui permet d’en faire un outil diagnostique, pronostique et de suivi, en phase avec la médecine de précision qui se développe. Enfin, les connaissances sur le microbiote pulmonaire et ses liens avec le microbiote intestinal ouvrent des potentialités thérapeutiques par l’utilisation de probiotiques sur différents terrains respiratoires. Ainsi, l’administration pulmonaire et/ou digestive d’un cocktail de lactobacilles avant l’infection par le redoutable bacille pyocyanique semble protectrice, que ce soit dans la mucoviscidose ou les pneumopathies nosocomiales. Demain, le décryptage du microbiote pulmonaire permettra aussi de découvrir des probiotiques de nouvelle génération et de s’attaquer à des maladies fréquentes comme l’asthme sous un angle entièrement nouveau.
Pour en savoir plus: «Les Bactéries anaérobies, ces inconnues du microbiote pulmonaire», Guilloux, Lamoureux et Héry-Arnaud. Médecine/Sciences2018 ; 34: 253-260 Dossier thématiquesur le microbiote pulmonaire par Geneviève Héry-Arnaud dans La Revuedes Microbiotes n° 12, novembre 2018.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]* Professeure des universités à la faculté de médecine de Brest (enseigne la bactériologie). Praticienne hospitalière au laboratoire de bactériologie du CHRU de Brest. Directrice de l’axe de recherche «Microbiota» centré sur les maladies respiratoires dans l’unité de recherche Inserm UMR1078 à l’université de Bretagne Occidentale.
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