Enregistré le 4 février 2017, à ParisTRANSCRIPTIONBonjour à tous, je suis ravi de vous retrouver. Je suis le Dr Colas Tcherakian, pneumologue à l’hôpital Foch, et je vais vous rapporter les éléments fondamentaux du dernier Congrès de Pneumologie de Langue Française (CPLF), qui s’est tenu à Marseille du 27 au 29 janvier 2017.
Je vais vous parler de trois points qui me semblent pouvoir modifier nos pratiques à court terme :
- les infections respiratoires liées aux virus
- les conséquences respiratoires de l’immunothérapie utilisée aujourd’hui, entre autres, dans les cancers pulmonaires
- quid du traitement de l’embolie pulmonaire en 2017; en particulier, quelle durée pour nos patients qui ont fait une embolie pulmonaire.
Les virus vont changer la donne en termes de prise en charge des maladies respiratoires infectieusesÀ l’heure où je vous parle, l’épidémie de grippe sévit et ce sont des milliers de morts qui sont attribuables à cette infection virale respiratoire. La grippe n’est pas le seul virus pathogène pour les voies respiratoires, loin de là. Le
virus respiratoire syncytial (VRS), que l’on connait déjà chez le nourrisson, est un virus à tropisme respiratoire qui provoque les bronchiolites chez les petits enfants. En réalité, il provoque aussi des pathologies respiratoires chez l’adulte. Au cours d’une session par le
Dr Guillaume Voiriot (Paris), il a été rappelé que les premières causes de pneumopathie — et je ne parle pas ici de simple bronchite virale, mais bien de
pneumopathie — sont aujourd’hui les virus, devant le pneumocoque, fameux « tueur » puisque c’est la bactérie la plus responsable de mortalité.
[1] On s’est rendu compte que d’une part les virus étaient pathogènes, et d’autre part ils étaient des co-pathogènes très importants des infections [bactériennes]. Le mélange virus + bactérie est beaucoup plus nocif et plus pathogène que la bactérie seule. C’est aujourd’hui un vaste champ de recherche qui est en train de s’ouvrir, et pas seulement chez l’immunodéprimé − parce qu’il est vrai qu’il est responsable, en particulier dans les transplantations pulmonaires ou les transplantations de moelle, de pathologies respiratoires. Ces virus sont également responsables de pathologies respiratoires sévères chez des patients asthmatiques, chez des patients BPCO, et probablement dans la population générale. Il y a au moins 3-4 millions de BPCO et 6 millions d’asthmatiques en France — soit un sixième de la population — qui ont une maladie respiratoire prédisposant à des complications d’origine virale.
Ces complications sont tellement importantes que nous sommes aujourd’hui en train de tester, dans notre service, des molécules à titre antiviral. Comme on l’a fait pour la grippe, on le fait aujourd’hui pour le VRS. D’autres antiviraux vont sortir pour d’autres pathogènes respiratoires. Clairement, ce qui a changé la donne, c’est la capacité à faire le diagnostic : on peut maintenant établir le diagnostic d’une pneumopathie virale ou d’une affection virale en quelques heures, voire en moins d’une heure avec les tests rapides de PCR. Il suffit d’un écouvillon nasal ; on n’est même pas obligés de faire une fibroscopie bronchique pour identifier les pathogènes viraux respiratoires. Le virus va donc changer la donne en termes de prise en charge des maladies respiratoires infectieuses.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] — essentiellement ces molécules dirigées contre le PD-L1 ou le récepteur PD-L1 et qui vont permettre de restaurer une réponse immunitaire de l’organisme contre le cancer — avait connu un essor. Mais alors qu’en 2015 on avait des résultats spectaculaires en deuxième ligne, on est aujourd’hui passé en première ligne. Ces traitements ont changé la donne, on se retrouve avec des patients qui ont un pronostic, une médiane de survie sans progression et une survie qui s’allongent. On est en effet dans des traitements chroniques administrés avec des périodes de suivi et de survie qui se sont allongées. Et ces immunothérapies, qui révolutionnent le cancer du poumon, révolutionnent également d’autres cancers — les cancers urothéliaux, les
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien], où on avait un pronostic catastrophique et pour lesquels aujourd’hui la durée de survie s’allonge.
Mais alors que 2015-2016 voyait une explosion de la survie et des avantages de ces traitements, je crois que 2017 sera l’année des conséquences en termes d’effets secondaires de l’immunothérapie sur les voies respiratoires. Il y a eu plusieurs exposés essayant de synthétiser quels types d’effets secondaires peut donner l’immunothérapie au niveau respiratoire et que faire quand on voit surgir des effets secondaires au niveau respiratoire liés à une immunothérapie.
On sait aujourd’hui que l’immunothérapie peut provoquer à peu près tout en termes de conséquences respiratoires – des formes complexes comme des pneumopathies organisées, mais également des mélanges de pneumopathies organisées avec un dommage alvéolaire, avec d’autres pneumopathies qu’on appelle pneumopathies interstitielles non spécifiques (les PINS). Cela peut donner un mélange de choses, des patterns bien distincts, et on est en train de voir quelles sont les mesures pour prendre en charge ces patients : faut-il arrêter l’immunothérapie ? Faut-il mettre des corticoïdes, d’autres médicaments ? 2017 est clairement la voie de l’identification de ces maladies et de la protocolisation de leur prise en charge.
« L’immunothérapie est un traitement extraordinaire pour les cancers, mais non dénué d’effets secondaires, et il fallait s’y attendre. À nous, aujourd’hui, d’améliorer la prise en charge de ces effets secondaires. » |
L’embolie pulmonaire : quelle durée de traitement ?La survenue de l’embolie pulmonaire se sépare en deux groupes : celle avec un évènement provoqué et celle qu’on dit « idiopathique », c’est-à-dire, pour laquelle vous n’avez pas identifié d’évènement provoqué.
L’évènement provoqué typique est la chirurgie, où vous avez un patient qui a été alité, qui a eu de la chirurgie ou une mise sous plâtre. Ce sont des évènements provocants. Le traitement est assez bien codifié quand vous avez identifié ces facteurs de risque et, une fois le facteur de risque retiré, on sait que trois mois suffisent, en général, pour obtenir une diminution du risque de récidive d’embolie à l’arrêt du traitement. C’est donc un traitement court.
La question rémanente était : quelle durée pour une embolie pulmonaire idiopathique ? L’embolie pulmonaire idiopathique, c’était au moins six mois de traitement — on est resté assez vague sur la durée — et il fallait « rechallenger » le diagnostic et le risque hémorragique pour savoir quelle durée de traitement vous alliez donner, au cas par cas, à votre patient.
Francis Couturaud, du Service de Pneumologie au CHU de Brest, a fait une très belle étude
[2] et animait plusieurs sessions sur la durée du traitement de l’embolie pulmonaire où il montrait que, finalement, le risque après deux ans de traitement anticoagulant de récidive de l’embolie pulmonaire idiopathique était de 10 %, ce qui est exactement le même risque que vous avez à six mois. Et c’est un risque très important puisqu’il est cumulatif, ce qui fait qu’à cinq ans, quasiment un tiers des patients qui ont fait une embolie pulmonaire idiopathique vont récidiver. Aujourd’hui, ce qui est en train de se dessiner, ce sont clairement deux options thérapeutiques pour les patients pour lesquels vous n’avez pas trouvé de facteur explicatif, qu’ils aient ou non une thrombophilie – l’impact de la thrombophilie organique est très faible sur le risque de récidive, voire inexistante pour les facteurs V Leiden, hétérozygotes, ou pour les mutations du facteur II, qui sont des mutations très fréquentes et qui n’ont pas d’impact, il faut bien rassurer les patients sur ce point.
Donc quelle durée de traitement ? La réponse est assez simple. Vous décidez avec le patient au bout de six mois :
- Est-ce qu’il a peur ou non d’arrêter son traitement ?
- Est-ce que vous, vous pensez qu’il va récidiver ?
- Est-ce que c’est un homme ? Parce que les hommes récidivent plus.
- Est-ce que c’est une femme ? Parce que les femmes saignent plus sous traitement.
- Est-ce que c’était une embolie pulmonaire massive ? Parce qu’il a plus de risque de refaire une embolie pulmonaire massive.
Donc, un certain nombre de paramètres vont vous aider à dire « je crois, même après le premier épisode d’embolie pulmonaire idiopathique, qu’il faut vous traiter à vie ». Or on avait une notion qui était « on peut traiter un patient qui a fait une embolie pulmonaire idiopathique à vie, en général après le deuxième épisode, car on sait qu’il y en aura un troisième ». Mais cette discussion d’un traitement de longue haleine chez des patients qui ont fait un épisode d’embolie pulmonaire idiopathique est une notion qu’on voit apparaître et qui va, je pense, se dérouler au fur et à mesure des années. C’est un élément fondamental à avoir en tête quand vous voyez un premier épisode d’embolie pulmonaire idiopathique. D’autant plus que des tests ont été faits avec les nouveaux anticoagulants oraux, qui ont justement toute leur place dans ces formes. L’apixaban (Eliquis®) avait été testé dans une étude
[3] où il montrait qu’au-delà de six mois, quand vous réduisiez les doses pour éviter un surrisque de saignement, vous préveniez la récidive des maladies thromboemboliques. On sent bien qu’on est en train d’ajuster les traitements, d’identifier la longueur du traitement et que, clairement, nous sommes sur une nouvelle prise en charge de la maladie thromboembolique idiopathique, avec des durées de traitement qui vont probablement s’allonger et des risques de saignement qui vont probablement diminuer en adaptant, au mieux, nos thérapeutiques.
« On est en train d’ajuster les traitements, d’identifier la longueur ; on est sur une nouvelle prise en charge de la maladie thromboembolique idiopathique, avec des durées de traitement qui vont probablement s’allonger. » |
Voilà. Il me semblait important de vous rapporter ces trois éléments qui vont changer votre pratique ou qui, en tout cas, vont impacter la pratique des pneumologues dans les mois et les années qui viennent.