L’exposition aux désinfectants en cause dans la BPCO ?
Dr Catherine Desmoulins
10 octobre 2017
Milan, Italie – Selon le travail d’une équipe INSERM (U1168), à partir des données de la cohorte des infirmières américaines : Nurses Health Study II, l’exposition régulière à des désinfectants majorerait le risque de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO).
« Nous ne sommes pas surpris par ce résultats » explique Orianne Dumas (Inserm, Villejuif) lors de sa présentation au congrès de l’European Respiratory Society, ERS 2017. « L’exposition professionnelle est déjà en cause dans environ 15% des cas de BPCO ».
Irritants respiratoires
Selon une revue de la littérature, en effet, 22 des 25 études de population sur la BPCO retrouvent un lien avec une exposition professionnelle (Scan J Work Environ Health; 2014 ; 40 :19-35).
Mais s’il est clairement établi que l’exposition aux désinfectants peut être à l’origine de la survenue d’un asthme, dans les heures suivant l’inhalation de vapeurs, la mise en cause de ces produits dans la BPCO relève probablement d’un effet à plus long terme. Le lien est donc moins clair au niveau de la santé individuelle.
Rappelons que dans la BPCO, l’inflammation chronique (œdème) joue un rôle majeur dans les modifications physiopathologiques qui caractérisent la maladie (rétrécissement progressif des bronches et restriction de la capacité respiratoire).
«Nous étudions depuis plusieurs années l'impact des produits désinfectants sur l'asthme, et une des hypothèses principale est que la plupart des produits seraient des irritants respiratoires » explique le Dr Dumas à Medscape édition française. « Les mécanismes physiopathologiques en jeu sont mal connus, mais pourraient impliquer un stress oxydant et une inflammation neutrophilique. Ces mécanismes sont également impliqués dans la BPCO, et nous avons donc pensé qu'il y avait une plausibilité biologique pour un lien entre l'exposition à des désinfectants et le développement de la BPCO. Deux études épidémiologiques récentes ont aussi suggéré un lien entre le métier de personnel de ménage et un risque accru de BPCO. »
8 années de données sur l’exposition aux désinfectants
Dans la Nurse Health study II, des infirmières, toujours en activité au moment de l’inclusion, ont répondu à un questionnaire tous les 2 ans, de 2009 à 2017. Il leur était demandé dans quel secteur elles travaillaient : éducation, administration, domicile des patients, urgences ou bloc opératoire, et leur niveau d’exposition aux désinfectants : nul, au moins un nettoyage de surfaces par semaine, au moins un nettoyage d’instruments chirurgicaux par semaine.
Les femmes étaient également interrogées sur leur âge, leur statut à l’égard de la BPCO (diagnostic de bronchite chronique ou d’emphysème porté par un médecin) et du tabac.
Les chercheurs ont utilisé un modèle d’ajustement proportionnel sur l’âge, le tabagisme, l’origine ethnique, l’indice de masse corporelle ainsi que des matrices d’exposition professionnelles pour évaluer l’exposition à 7 désinfectants majeurs.
7 désinfectants recherchés dans le questionnaire
Formaldéhyde (formol)
Glutaraldéhyde
Eau de javel
Peroxyde d’hydrogène (eau oxygénée)
Alcool
Ammonium quaternaire
Désinfectants enzymatiques
Sur les 22185 femmes retenues, 663 ont eu un diagnostic de BPCO durant le suivi. Après ajustement, les chercheurs constatent un risque relatif de BPCO allant de 1,24 à 1,32 chez les femmes fortement exposées au glutaraldéhyde, à l’eau de javel, l’ammonium quaternaire et les désinfectants enzymatiques.
Et chez femmes souffrant de BPCO, 37% ont déclaré avoir eu recours au moins une fois par semaine à des produits de désinfection des surfaces, 19% à des produits de nettoyage des instruments. Après régression logistique, le sur-risque estimé de BPCO chez les infirmières nettoyant les surfaces était de 32% et de 22% chez celles nettoyant les instruments.
Ces résultats issus d’une étude aux Etats-Unis peuvent-ils être extrapolés à la France ? « Nous pensons que les expositions sont en parties les mêmes qu'aux Etats-Unis, mais ne disposons pas de données à si grande échelle en France. Il est possible que les aldéhydes (glutaraldéhyde) soient moins utilisés en France. Concernant le formaldéhyde, il n'est a priori plus utilisé comme désinfectant (en France ou aux Etats-Unis), mais pour la fixation de tissus » répond l’investigatrice.
Ces résultats sont bien sûr à reproduire avant d’en tirer les conséquences pour faire des recommandations préventives.
Quel mécanisme ?
Une explication avancée par le Lidwien Smit (université d’Ultecht, Pays-Bas) pour expliquer le lien entre la BPCO et les produits désinfectants est celle d’une modification du microbiome. Le fait d’inhaler des produits qui détruisent fortement les bactéries modifierait l’écologie des voies respiratoires. Quand l’homéostasie bactérienne est rompue, les voies respiratoires réagiraient plus violemment à des pathogènes ou à l’inflammation.