Omicron : comment protéger les immunodéprimés ?
Dr Colas Tcherakian
AUTEURS ET DÉCLARATIONS 26 janvier 2022
Les anticorps monoclonaux permettent de transférer une immunité protectrice instantanément contre le SARS-CoV-2 et sont largement utilisés chez le patient immunodéprimé et le non-vacciné. Les mutations multiples d'Omicron ont mis à mal ces traitements. Quels anticorps peut-on encore utiliser chez ces patients infectés par le nouveau variant? Explications du Dr Colas Tcherakian
TRANSCRIPTION
Bonjour à tous, je suis le Dr Colas Tcherakian, pneumologue à l’hôpital Foch, et je travaille dans un centre de prise en charge des patients immunodéprimés. En particulier, nous avons la prise en charge des patients ayant des complications de maladies hématologiques, de déficits immunitaires primitifs, mais également une cohorte de patients composée de greffes d’organes solides, comme les transplantés pulmonaires et les transplantés rénaux.
Patients immunodéprimés : une double peine
Ce groupe de patients immunodéprimés ont la double peine : ils sont très handicapés au niveau de leur environnement social, car ils sont souvent reclus pour éviter d’être infectés, et face à Omicron, comme ils n’ont pas réagi la plupart du temps à la vaccination, on doit leur proposer des anticorps pour essayer de remplacer ceux qu’ils ne peuvent pas produire. Aujourd’hui, Omicron pose des vrais soucis de prise en charge compte tenu du nombre important de mutations qu’il présente.
Les immunodéprimés constituent une population qui représente pour chaque type de déficit immunitaire un nombre restreint de patients, mais quand vous les mettez bout à bout, cela représente évidemment des centaines de milliers de personnes en France et des millions à travers le monde. Cela peut être des gens qui sont en cours de traitement pour un cancer solide ou hématologique, d'autres qui ont une maladie hématologique par ailleurs et qui produisent donc des anticorps ou des défenses immunitaires moins efficaces, notament :
les greffés d’organes,
les patients qui prennent des corticoïdes tous les jours – p. ex. pour une polyarthrite rhumatoïde, qui est une maladie extrêmement fréquente, ou pour une maladie auto-immune, ou pour un asthme sévère,
les gens qui sont en dialyse, dont le système immunitaire ne fonctionne pas bien,
les déficits immunitaires primitifs, qui sont en fait très nombreux.
Il y a donc autour de vous forcément quelqu’un qui est porteur d’un déficit immunitaire. Et ces patients vivent, depuis deux ans avec le COVID, un cauchemar. Lorsqu’on regarde les gens hospitalisés en réanimation (et pas seulement en réanimation à l’hôpital, lorsqu’on fait la visite etc.), en pneumologie vous trouvez environ 7 patients qui ne sont pas vaccinés pour 3 qui sont vaccinés, mais avec un déficit immunitaire qui font qu’ils n’ont pas une réponse suffisante pour se protéger. Et ce sont ces 3 patients, ou ces 30 % ou 20 % de patients selon les services dans lequels vous passez, qui nous intéressent ici.
Il y a donc autour de vous forcément quelqu’un qui est porteur d’un déficit immunitaire.
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Omicron et immunodépression
L’infectiosité du virus Omicron est incroyable : on est passé d’un R0 de 2 – c’est-à-dire une personne infectée en contaminait deux – à un R0 entre 8 et 12 ; c’est-à-dire que maintenant une personne infectée va en contaminer entre 8 et 12, ce qui correspond à la maladie infectieuse la plus virulente qu’on connaissait qui était la rougeole.
Aujourd’hui, l’infectiosité d’Omicron explique son explosion dans la population générale. Objectivement, alors que la troisième dose montre son efficacité pour protéger du décès et de l’hospitalisation, chez le déficitaire (celui qui n’a pas une immunité normale), on n’a pas les mêmes résultats, il y a des gens qui ne réagissent pas du tout à la vaccination.
Comment protéger les populations immunodéprimées ?
- Il y a le cocooning, c’est-à-dire qu’en général on vaccine leur entourage et on va ainsi les protéger indirectement. C’est une première solution.
- La deuxième solution est d’essayer de vacciner le plus de gens possible dans la population générale – c’est l’immunité altruiste avec, aujourd’hui, cette stratégie qui est clairement mise à mal, puisque même si vous êtes protégé contre les formes graves hospitalisées ou décès, vous pouvez tout à fait être porteur asymptomatique d’Omicron, même vacciné. C’est toute la problématique actuelle qui fait que notre stratégie de protection des personnes immunodéprimées est mise à mal.
- On avait la possibilité de donner des anticorps à ces patients. On peut leur donner du sérum de convalescent, c’est-à-dire provenant d'individus qui ont guéri d’une infection par SARS-CoV-2, qui ont produit des anticorps – c’est le plasma de convalescent. On donne ce plasma aux patients COVID en sachant qu’il faut que les donneurs aient guéri d’Omicron pour être bien protégé contre Omicron – c’est un premier problème. Le deuxième problème est que les anticorps monoclonaux, qui sont encore plus efficaces, sont produits spécifiquement pour cibler une zone du virus – or nous avons des vrais problèmes avec ces anticorps, car autant ils fonctionnaient bien sur le Delta, autant aujourd’hui, vu le nombre de mutations dans la zone de fixation au récepteur ACE2, les anticorps qui ciblent en général cette zone se retrouvent en perte d’efficacité et de spécificité. On a, à l’Institut Pasteur, testé l’effet des mutations sur la capacité de fixation de nos anticorps monoclonaux et on se rend compte que beaucoup ont perdu la capacité de s’accrocher.[1] La capacité de fixation normale sur Omicron est complètement effondrée. Donc des traitements que l’on utilisait ne peuvent plus être utilisés aujourd’hui – ils ont perdu leur spécificité contre Omicron.
Lorsque l’on regarde l'effet avec evusheld, qui est un traitement préventif de l’infection – c’est-à-dire que vous donnez des anticorps pour prévenir une infection chez le patient – ils ont perdu, pour un d’entre eux dans ce mix de deux anticorps, sa spécificité à fixer Omicron. Il faut augmenter drastiquement les concentrations d’anticorps par un facteur 100 pour récupérer une capacité de fixation. Ce médicament (evusheld) reste quand même efficace, mais il faudra démontrer en pratique clinique que les taux qu’on arrive à obtenir sont suffisants pour protéger les gens de façon efficace et qu’il garde sa pertinence. C’est aujourd’hui le traitement qui est recommandé, mais qui n’est pas encore administré de façon simple, car c’est un traitement qui se fait par voie intramusculaire avec une protection sur plusieurs mois, mais il faut pouvoir vacciner tous ces patients, ce qui, sur le plan logistique, est très complexe.
Il y a également dans les traitements qui n’ont pas perdu leur spécificité, le sotrovimab, qui est un anticorps qui garde sa capacité de fixation. Pourquoi ? En quelques mots, le sotrovimab est une belle histoire scientifique, puisque c’est un anticorps qui a été créé à partir du SRAS originel ; les chercheurs ont regardé les anticorps qui étaient capables de fixer ce virus et ils les ont testés à partir du plasma de gens qui avaient guéri du SARS sur tous les autres coronavirus qu’ils trouvaient, dont le SARS-CoV-2. [2] Ils ont trouvé une zone qui permettait de bloquer tout le temps le virus, quel que soit le type de coronavirus dans sa généralité. Et sa stratégie est payante aujourd’hui, puisque malgré les mutations dans la région S, le sotrovimab garde sa capacité de fixation et cela s’explique par le fait que cet anticorps ne fixe pas la région hypervariable de la protéine S qui se fixe au récepteur ACE2, mais il fixe la région NTD de la protéine S, qui fait qu’elle est moins affectée par les différentes mutations parce qu’elle est moins soumise à une pression de sélection. Donc il garde sa spécificité. Reste à démontrer en clinique, en curatif, que cet anticorps va permettre aux gens de guérir plus rapidement également avec l’Omicron
conclusion
Nous avons aujourd’hui un panel de traitements potentiels par anticorps qui restent actifs contre Omicron, mais qui soit ne sont pas encore disponibles, soit d’un point de vue logistique difficiles à administrer en grande quantité sur une période très courte qui est la période de l’épidémie. Ceci fait qu’aujourd’hui les patients immunodéprimés ont des difficultés d’accès à ces traitements et que nous-mêmes nous avons des difficultés à pouvoir les proposer de façon large et rapide.
La prise en charge de l’immunodéprimé dans cette période d’épidémie est compliquée, et on espère que les moyens qui vont être mis à notre disposition nous permettent rapidement de pouvoir proposer ces traitements de façon large à ces patients qui vivent franchement en enfer depuis deux ans avec le coronavirus.